Une Autre Séduction
July 30th, 2009 | Published in Pirates in the Press
LE DEVOIR
Thursday, July 30, 2009
Une autre séduction
Tranquillement, mais sûrement, le cricket gagne des adeptes au Québec
Jean Dion
Angus Bell se trouvait en Transylvanie, il y a quelques années, lorsque sa vie a basculé. Dans le bon sens.
Ce que cet Écossais faisait là? Il voyait du pays, bien sûr, mais il était surtout occupé à assouvir sa passion de toujours en jouant au cricket. Le sport n’est pas tellement répandu en Europe de l’Est, mais il y existe, et Bell, 28 ans aujourd’hui, avait été capitaine honoraire de l’équipe de Pologne et il avait joué en Slovaquie et en Bulgarie. Sa tournée a conduit à la publication d’un bouquin, Batting on the Bosphorus: A Liquor-Fueled Cricket Tour Through Eastern Europe, dans lequel il raconte avoir frappé depuis l’Europe un coup de six points – lorsque la balle quitte le terrain sans avoir touché le sol, l’équivalent d’un circuit au baseball – qui a atterri en Asie.
Mais ce jour-là, en Roumanie, Angus Bell a rencontré le grand amour. Une belle fille du Québec. Hors de question de la laisser. Ce fut donc direction Montréal avant longtemps.
Ici aussi, le cricket demeure largement méconnu, mais il existe, quelques équipes et des ligues largement regroupées autour des différentes communautés culturelles. Au début, Bell se joint à quelques-unes d’entre elles, mais l’expérience ne le satisfait pas. Il décide donc de créer son propre club, indépendant.
Ce fut essentiellement une affaire de bouche à oreille. «Je jouais avec ma copine dans des parcs de Montréal, dit-il. Plusieurs personnes s’arrêtaient, intriguées, me demandant ce que je faisais là. Je les invitais à venir essayer le truc si cela leur tentait. Ça, c’était avant La Grande Séduction…»
Ah, La Grande Séduction. Personne n’a oublié ce long métrage de 2003 dans lequel les habitants d’un village isolé de la Côte-Nord se mettent au cricket dans l’espoir d’attirer chez eux un jeune médecin adepte de ce sport. Le film a beaucoup fait pour populariser la discipline. Darren Bullivant, un Australien qui a aussi été conquis par une dame de chez nous, en parle avec un sourire. «Maintenant, c’est cool de se promener avec un bâton de cricket», dit Angus Bell. A l’instar du baseball, le cricket donne lieu à des statistiques complexes, mais le principe du jeu reste relativement simple. Un lanceur, bowler, expédie la balle vers un frappeur, batsman, qui doit protéger le guichet, wicket, placé derrière lui. Selon l’endroit où la balle arrive, soit le frappeur est retiré – les joueurs en défensive doivent attraper la balle à mains nues et couvrir une surface qu’on pourrait comparer à quatre terrains de baseball, puisqu’on joue au centre d’un ovale -, soit il marque des points et continue de frapper. Selon la formule qu’on utilise, un match peut durer plusieurs heures, voire plusieurs jours. Une foule de traditions sont liées au cricket, dont celle de faire des pauses pour prendre le thé (ou autre boisson, au choix). Né en Angleterre, le sport demeure immensément populaire dans la plupart des anciennes colonies britanniques.
Mais pas au Québec, ce qui n’allait pas pour autant freiner l’enthousiasme d’Angus Bell. Il y a deux ans, il créait officiellement son équipe indépendante, baptisée The Pirates of the St. Lawrence, et le mot s’est si bien passé qu’elle en est venue à ressembler à s’y méprendre aux Nations unies. Elle compte une quarantaine de membres permanents et, à ce jour, près de 200 joueurs, originaires de 39 pays différents, ont pris part à ses activités. Récemment, Bell s’est mis en frais d’aménager un champ appartenant à ses beaux-parents, à Otterburn Park, au pied du mont Saint-Hilaire, et les Pirates jouent régulièrement sur ce qu’il appelle «le plus beau terrain de cricket au Québec», en plus de s’entraîner en divers endroits comme le parc Jarry. Ils se déplacent aussi pour aller affronter des équipes américaines, comme le Tri-City Cricket Club d’Albany ou les Mad Dogs du Connecticut.
Et les rigueurs du climat ne les arrêtent pas. L’hiver, les Pirates jouent dans des gymnases de Montréal et en janvier dernier, grande première, ils ont même disputé un match de cricket sur neige au parc Jean-Drapeau.
Le matin où on les rencontre, les Pirates s’exercent sur leur, comme dit le joueur Hugue Saint-Jean, «field of dreams». Au milieu des balles et des bâtons, des casques et des jambières, Angus Bell raconte qu’il visite fréquemment des écoles de la région de Montréal afin de familiariser les jeunes avec le sport qu’il aime tant.
On voit très rarement – ou plutôt jamais – du cricket à la télévision, et il veut être un facteur de découverte. «Je veux rendre le cricket visible et accessible, dit-il. Mon but, c’est d’en faire le premier sport de balle au Québec.»
Pour le moment, ils ne sont pas très nombreux, mais leur enthousiasme est contagieux. Une autre séduction est
peut-être en cours…